Les journées de loisir, les fêtes populaires et les sorties entre amis deviennent rares et dangereuses, et de nombreux jeunes Haïtiens témoignent de leur épuisement psychologique. Ils expriment aussi la frustration de grandir dans un pays où la peur dicte les habitudes et efface les repères.
Ils ont entre 18 et 30 ans, et chacun raconte un quotidien rythmé par l’angoisse. Pour Fabiola VALEMBRUN, 23 ans, même aller au salon de coiffure est devenu une source de stress. Elle habite à Delmas 47 et affirme ne plus se souvenir de sa dernière vraie sortie.
« Je reste chez moi, même pour mon anniversaire. On vit dans une cage sans barreaux », confie-t-elle.

Dans la capitale, la violence des gangs et l’imprévisibilité des attaques armées ont étouffé toute forme de vie sociale.
« Avant, on allait à la mer, surtout en mai. Il y avait des journées de plage, des fêtes. Aujourd’hui, tu sors, tu peux ne pas rentrer », résume Kenny SAINT-FORT, membre de l’Association culturelle « Leve Kanpe ».
« Les 1er et 18 mai, on célébrait. Maintenant, on ne sait même plus quel jour on est », ajoute-t-il.
Les témoignages, ayant fait écho à l’occasion de ces moments festifs d’autrefois, sont aujourd’hui disparus ou relégués à la clandestinité.
« Le rara, les bandes à pied, les fêtes patronales… tout ça, c’est fini pour nous. Même les mariages se font à midi, à la hâte, avec cinq invités », raconte Anderson JEAN-MICHEL, originaire de Delmas 32.
Dans certaines zones sous l’emprise des gangs armés, les jeunes ne sortent plus sans raison valable. Même la tenue vestimentaire peut devenir un facteur de risque.
« Il y a des marques qu’on ne peut plus porter. Si tu ressembles à un membre de gang, tu risques d’être ciblé par la police. Dès que tu sors d’un territoire contrôlé, c’est dangereux. Si tu es tout en noir, il faut éviter certaines zones pour ne pas être pris pour un brigadier », explique Rosemène ChÉRESTAL. « On est jeune, mais on vit comme des vieillards », ajoute-t-elle.
Un étouffement collectif
« Au-delà de la peur immédiate, c’est un épuisement mental qui s’installe. On parle de santé mentale, mais qui nous écoute ? On ne fait presque plus de projets. La plupart des jeunes veulent juste vivre, c’est tout », déclare Josué PETIT-DOR, membre du club Psycho-Tic.
« On ne vit pas, on survit. Et ça, ce n’est pas normal. L’ambiance générale est à la résignation », ajoute Fabiola VALEMBRUN.

La jeunesse haïtienne se trouve prise entre l’envie de vivre et la nécessité de se protéger. Elle porte aujourd’hui la voix d’une génération blessée, mais encore debout. Si les fusillades interrompent les concerts et que les routes barrées dispersent les rassemblements, le désir de liberté reste intact.
« On rêve encore, même si c’est dangereux. On espère que cette terreur ne sera pas notre seul héritage », conclut Kenny, laissant entendre que la jeunesse refuse de croire que cette situation est une fatalité.
Tout en espérant que cette terreur ne sera pas ses seuls héritages, la jeunesse haïtienne refuse de croire que cette situation est une fatalité. Et même dans l’ombre, ces voix résistent, parce qu’abandonner ne fait pas partie de ses options.
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